Représenter les neiges éternelles

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Les glaciers d’altitude aux 18e et 19e siècles

Au cours du Petit âge glaciaire (fin 16e – milieu du 19e siècle), les glaciers connaissent une période de croissance quasiment continue. Ils sont considérés comme une menace sur l’activité humaine en montagne et un obstacle à la circulation des voyageurs.

Pourtant au 18e siècle, le regard change. A la période romantique, la nature sauvage est sublimée dans la littérature, les peintres font du paysage un sujet à part entière. Les Alpes attirent les artistes amateurs et confirmés comme l’anglais William Turner. Le tourisme fait son apparition dans la vallée de Chamonix où l’on vient admirer la Mer de Glace et le Mont Blanc, guide illustré en main.

S’aventurer, admirer, s’étonner

La beauté des glaciers alpins attire les premiers touristes dès le 18e siècle. Leur découverte aiguise la curiosité des explorateurs et les savants ne tardent pas à faire paraître leurs observations sur ces phénomènes naturels.

Théodore Bourrit, guide et illustrateur

Théodore Bourrit, chantre de la cathédrale de Genève, est issu d’une famille française protestante réfugiée en Suisse. Ses ouvrages ont largement contribué à la connaissance des glaciers des Alpes du Nord qu’il parcourt lui-même et fait découvrir aux premiers touristes. Traduits en anglais, ses guides ont servi aux artistes sur le Grand tour.

L’ouvrage présenté ici est exceptionnel par la mise en couleur des gravures réalisées d’après les propres dessins de Bourrit. Les glaciers, phénomènes fascinants et terrifiants, y sont mis en valeur et décrits dans le texte en regard.

Bourrit décrit leur caractère sublime et la manière dont ils se forment mais aussi les dégâts provoqués par leur avancée dans les vallées, sur les forêts et habitations en cette fin de Petit âge glaciaire.

Conseils d’un géologue aux voyageurs

Première édition française de cet ouvrage paru en 1760, L’histoire naturelle des glaciers de Suisse a été écrite par le géologue Suisse Gruner et allie considérations scientifiques, récit de voyage et conseils touristiques.

Les planches ont été dessinées par différents artistes, gravées en taille douce par Adrian Zingg.

L’ouvrage est l’un des premiers à s’intéresser spécifiquement aux glaciers. Il pose, après Scheuchzer, les bases de la glaciologie.

Voyage pittoresque aux glacières de Savoye

Contemporain de Théodore Bourrit, Bordier est l’un des tout premiers à comparer les glaciers à un fluide, et à expliquer leur mouvement par la poussée gravitaire, théorie jusque-là rejetée.

L’ouvrage est aussi un guide à destination des voyageurs dans la vallée de « Chamouni ». Il est annoté à la main à de nombreuses reprises, avec parfois des avis contraires sur les plus beaux points de vue qu’il faut visiter !

La carte, bien qu’encore très imprécise dans la figuration des glaciers, indique les principaux sommets de la région.

Toujours plus haut : l’alpinisme au service de la science

L’alpinisme se développe en même temps que les premières ascensions des hauts sommets. Le Mont-Blanc est ainsi gravi en 1787 par le géologue et naturaliste suisse Horace Bénédict de Saussure. L’exploit sportif s’accompagne parfois d’observations qui inaugurent le développement de la science glaciaire et alpine.

Saussure et l’ascension du Mont-Blanc

A 20 ans, Saussure, naturaliste genevois, se fixe pour défi d’aller au sommet du Mont-Blanc. Il réalise son rêve à 47 ans, en 1787 et fait le récit de ses excursions dans un ouvrage en 4 volumes : Voyages dans les Alpes.

Le croquis d’après nature

Théodore Bourrit a accompagné le géologue Horace Bénédict de Saussure à plusieurs reprises et réalisé une grande part des illustrations de ses Voyages dans les Alpes. Il s’est essayé à l’alpinisme et a gravi de nombreux glaciers mais il n’est jamais parvenu au sommet du Mont-Blanc.

Bon observateur et bon dessinateur, Bourrit illustre ses écrits par ses propres dessins. En revanche, ses premières gravures directement réalisées sur les plaques de cuivre sont inversées par rapport à la réalité. Il faut les regarder dans un miroir pour retrouver le paysage tel que d’après nature.

Sport et science

Membre fondateur du Club alpin autrichien, Ruthner est aussi un géographe spécialiste des Alpes et écrivain. Cet ouvrage reprend ses rapports sur les ascensions les plus importantes des Hautes Alpes autrichiennes, dont il fut parfois le pionnier, avec force détails techniques et descriptions des paysages.

Six gravures imprimées en couleurs complètent le panorama de la région du Tyrol.

S’équiper pour l’aventure alpine

Pour répondre aux exigences de terrain, des guides apparaissent, évoquant l’équipement à emporter avec soi, des crampons à la marmite. Pour l’observation scientifique, de nouveaux instruments sont mis au point : cyanomètre pour mesurer le bleu du ciel en altitude, hygromètre à cheveu mis au point par Saussure pour l’humidité, baromètre indispensable pour déterminer l’altitude, etc.
Plusieurs dizaines de kilos de matériel sont souvent transportées au sommet pour les besoins de la science !

Le crampon sur les neiges éternelles

La Société royale de Londres dont Scheuchzer est membre dès 1704, soutient l’édition de ses ouvrages alors que se développe le tourisme alpin chez les Anglais.

Ici, Scheuchzer décrit un élément indispensable de l’alpiniste : le crampon, pour marcher sur les « neiges éternelles » sans risque de glisser. Cet accessoire se fixe directement sur les chaussures. L’équipement est encore rudimentaire.

Guide de poche

Les Alpes sont devenues le passage désormais obligé du Grand tour vers l’Italie. Des guides fleurissent « où l’on trouve toutes les directions et les renseignements nécessaires pour recueillir tout le fruit et toutes les jouissances que l’on peut se promettre en parcourant ce pays-là ».

De façon assez surprenante, dans l’exemple de Ebel ci-dessous, on trouve assez peu d’illustrations, sans doute pour des raisons de coût. L’auteur y prodigue du moins de nombreux conseils sur le matériel nécessaire, tels que les crampons pour aller sur les glaciers, et les étapes bien-sûr à ne pas manquer.

Équipages et porteurs

Franz Joseph Hugi est un naturaliste suisse, parmi les premiers à comprendre l’importance d’étudier sur place les glaciers pour en comprendre la nature. Il parcourt pendant près de 15 ans les glaciers de la région de Berne, avec une équipe de guides.

La gravure de la page de titre représente l’installation d’une cabane sommaire en pierres pour abriter le campement sur le glacier de l’Unter Aar. Le matériel nécessaire a été transporté à dos d’hommes dans des hottes. Derrière Hugi au centre, on distingue un baromètre, grand bâton courbe, utile à la mesure de l’altitude : cette dernière est inversement proportionnelle à la pression atmosphérique. Autrement-dit plus la pression est basse, plus l’altitude est élevée.

Sur la page de frontispice, à gauche, les hommes en redingote tentent l’ascension d’une montagne, équipés de petites haches et pics que remplacera bientôt le piolet.

Parallèlement aux prémices du tourisme, l’intérêt des scientifiques pour les glaciers se développe. Saussure est l’un des premiers à s’interroger sur leur mouvement et à décrire les moraines. Il réalise des mesures précises et instrumentées sur place qu’il publie dans ses Voyages dans les Alpes, entre 1779 et 1796, accompagnées de nombreuses gravures. Agassiz ou Forbes, après lui, illustrent de même abondamment leurs écrits.

Naissance de la glaciologie

D’où vient la glace, comment se forme-t-elle? La question est étudiée dès le 18e siècle pour la matière elle-même. Elle s’étend ensuite aux glaciers tout entier, phénomène naturel.

L’une des controverses du 19e siècle concerne leur mode d’écoulement : comment envisager en effet l’écoulement d’un corps solide ? Et pourtant, les glaciers se meuvent !

Dissertation sur la glace

Publiée pour la première fois en 1716, cette dissertation est reprise en 1769 quand Dortous de Mairan devient Secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences.

En plein Petit Âge glaciaire, l’Académie s’est déjà beaucoup intéressée au phénomène des hivers très rigoureux : pas moins de 17 articles depuis sa création en 1666. L’article de Mairan s’inscrit donc dans une tradition de recherche d’explications scientifiques aux phénomènes naturels liés au climat. Il cherche à comprendre la formation de la glace.

Ses observations débutent à l’hiver 1709. Grâce à l’invention du thermomètre, dont celui de Réaumur, il a à sa disposition des instruments pour quantifier le phénomène du froid. L’article de Mairan fait date : il inspire Étienne-Hyacinthe de Ratte pour la rédaction de l’article « Glace » de l’Encyclopédie.

De la vitesse d’écoulement d’un glacier

James Forbes est un naturaliste et glaciologue écossais. Dans les années 1840, il est le premier à utiliser un théodolite – instrument de précision pour la mesure des angles – pour mesurer le déplacement d’objets à la surface de la Mer de glace. On aperçoit l’objet sur le frontispice de l’ouvrage, tandis que Forbes s’est installé sous une table glaciaire.

Grâce à ces mesures, il est le premier à calculer les vitesses d’écoulement d’un glacier, plus rapides en altitude et au centre du glacier qu’à l’aval et sur les bords.

Mécanique des fluides visqueux

John Tyndall cherche à démontrer que la glace avance par un processus de fracture, de gel et regel, tandis que Forbes pose pour hypothèse un écoulement de type visqueux. Il est vrai que ce qui est valable à petite échelle pour la glace, n’est pas toujours reproductible pour l’ensemble d’un glacier. La masse mais aussi la pente et l’orientation dans laquelle il se trouve influent sur le phénomène. Seule l’observation sur le terrain et sur le long terme a permis de questionner la validité l’hypothèse de Forbes.

Ce n’est qu’au 20e siècle cependant que l’on réussit à rapprocher le mouvement des glaciers des lois de mécanique des fluides visqueux.

Le temps d’écoulement d’un glacier permet de mesurer indirectement l’évolution du climat.

L’évolution du paysage

Le paysage de montagne est un grand indicateur du climat. Les premières descriptions des Alpes puis la volonté de relever et compiler les mesures (altitude des sommets, mesure des hauteurs et de l’écoulement des glaciers, etc.) vont permettre de constater bientôt sur des bases scientifiques, les changements à l’œuvre dans ces zones géographiques.

Histoire naturelle (ou presque) des Alpes

Scheuchzer réalise l’une des toutes premières descriptions de la flore et de la géologie des Alpes suisses. Il s’intéresse aussi à la pression atmosphérique, aux pluies et écoulement de l’eau, à la constitution de l’air dans les Alpes.
La comparaison de ses mesures avec celles réalisées à Paris au même moment sont présentées à l’Académie des sciences au début du 18e siècle.

Dans les premières éditions de cet ouvrage, Scheuchzer décrit aussi les dragons qui pourraient peupler les Alpes, symbole de la crainte qu’inspiraient ces régions. Dans les éditions suivantes, ce « détail » disparait !

Mesurer !

L’ascension du Mont-Blanc est une aventure collective et scientifique. Accompagné de nombreux porteurs, Saussure a fait parvenir au sommet tout le matériel indispensable à ses expériences.

Pendant près de 4h, il prend des mesures (hygrométrie, température, bleu du ciel, etc.). En les comparant à celles prises plus bas le même jour, il constate les effets de l’altitude sur le climat. Il donne aussi la première mesure fiable de la hauteur du Mont-Blanc.

Il compile par ailleurs ses observations sur les moraines, les débris rocheux entraînés par les glaciers : leur trace permet de constater si un glacier “avance” ou “recule” et donc de constater à la fois l’évolution du paysage, mais aussi celle du climat. A l’époque cependant, Saussure n’a pas su déterminer si le climat se réchauffait ou non à l’échelle de la Terre.

Comparer

Cette figuration emprunte à différents ouvrages les hauteurs relevées au début du 19e siècle sur les principales montagnes du monde, classées par continent. Celles d’Amériques ont été relevées par Alexandre de Humboldt.

La mesure des altitudes au début du 19e siècle provient essentiellement des relevés barométriques réalisés sur place, la pression diminuant en effet avec l’altitude.

Horace-Benedicte de Saussure donne par exemple la première mesure fiable du Mont-Blanc en 1787. Le tableau indique ici 4797 mètres, tandis qu’on donne aujourd’hui 4807 à 4811 m d’altitude.

Faire connaître les glaciers

La fascination pour les glaciers dépasse largement le cercle savant ou celui encore restreint des touristes dans les régions montagneuses.
Au cours du 19e siècle paraissent alors des ouvrages de vulgarisation scientifique, abondamment illustrés.

Transmettre les savoirs

Géologue formé au dessin à l’Université de Lyon, Albert Falsan se fait connaître par ses travaux sur les moraines des anciens glaciers du bassin du Rhône, leurs sédiments et flores fossiles.

Inscrit dans la collection “Bibliothèque scientifique contemporaine”, son ouvrage sur les Alpes est une somme des savoirs disponibles à destination d’un large public.

Il est illustré de figures gravées d’après les dessins de Falsan lui-même, réalisés in situ ou, comme ici, d’après des photographies.

Les glaciers, terre d’aventure

Ouvrage de vulgarisation scientifique, le volume ci-dessous s’intéresse tant aux glaciers de montagne qu’aux régions polaires.

Les gravures présentées s’inscrivent dans la tradition iconographique propre à l’illustration des expéditions scientifiques du 19e siècle. Le danger, le dépassement de soi face à une nature hostile aux éléments déchainés sont mis en avant.

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