Glaciers et changements climatiques

« La question de la formation des glaciers est, avec celle de leur mouvement, la plus difficile que nous ayons à traiter »

— Agassiz, 1840 —

C’est aussi l’un des jalons essentiels pour l’étude du climat. 

De façon surprenante, les progrès de la géologie au 19e siècle vont modifier considérablement la connaissance du climat sur le temps long. L’observation d’énormes blocs erratiques situés loin des zones montagneuses permet à Agassiz d’affirmer en 1837 une hypothèse que peu d’autres avant lui avaient seulement pressentie : l’étendue des glaciers fut par le passé bien plus importante qu’au début du 19e siècle. Cette théorie est controversée jusqu’aux années 1860. Elle n’en permet pas moins de prendre conscience de l’alternance de périodes chaudes et glaciaires sur la Terre.

Théorie de l’âge glaciaire

Dans les années 1830, Louis Agassiz, géologue suisse, se laisse convaincre par la nouvelle théorie de l’âge glaciaire avancées par Jean de Charpentier et Ignace Venetz, ou encore Franz Hugi : les blocs erratiques observés loin des zones glaciaires auraient été transportés par les glaciers à des époques antérieures. Il défend ces idées dans un discours à Neuchâtel en 1837.
A partir de 1840, Agassiz s’installe chaque année sur le glacier de l’Aar avec une équipe : ses observations et mesures permettent de prendre conscience de la dynamique glaciaire et de prouver la théorie en question.

Il publie son étude en 1840. L’Atlas qui l’accompagne est illustré par Bettanier, dont la précision dans le rendu des moraines ou des roches moutonnées est critiquable, mais permet néanmoins de marquer les esprits. Chaque gravure de paysage, grandiose et édifiante, est doublée d’une autre plus technique, où sont indiqués les légendes et explications nécessaires à la première.

On prend alors conscience de l’évolution des climats au cours de l’histoire de la Terre, et du lien avec l’évolution des formes géologiques.

L’Hôtel des Neuchâtelois

Industriel mulhousien, Daniel Dollfus-Ausset change de carrière à 40 ans pour suivre les expéditions glaciaires de Louis Agassiz dans les Alpes. Il en fera faire un ensemble de daguerréotypes qui documente aujourd’hui les travaux menés sur les glaciers, dans des conditions très rudes : relevés météorologiques, observation et mesure de l’avancée des glaciers, forages pour relever les températures glaciaires, etc. Au milieu des années 1850, il collabore avec les frères Bisson pour la réalisation de photographies qui circuleront largement.

L’implication financière de Dollfus-Ausset permet d’améliorer les installations et de construire peu à peu des refuges à partir desquels la vie des scientifiques s’organise, comme celui représenté ici, à côté et non sur le glacier de l’Aar. Le confort est nettement meilleur par rapport à l’installation sommaire de l’ « Hôtel des Neuchâtelois » sous une table glaciaire !

De la méthode scientifique

La glace – sa formation et son écoulement, les traces qu’elle laisse dans les paysages – est l’un des éléments qui permet d’appréhender les changements climatiques sur le long terme. Des scientifiques comme Forbes n’hésitent pas à s’engager sur le terrain, dans les montagnes d’Europe ou jusqu’aux pôles pour l’étudier.

Naturaliste et glaciologue écossais, il est associé tout d’abord à l’équipe d’Agassiz. Il prend ensuite ses distances par rapport aux méthodes du Suisse qu’il trouve trop attaché à prouver ses intuitions par des expériences, au lieu de partir de l’expérience et des mesures pour en dégager des conclusions.

Aujourd’hui les mesures prises depuis Saussure comme les dessins artistiques et scientifiques, les cartes et photographies des glaciers de montagne de cette période, sont autant de données utiles à la connaissance des variations climatiques dans une saisissante comparaison avec les paysages actuels.

La mesure et la représentation plus systématique des glaciers alpins débutent dans la seconde moitié du 19e siècle, avec les progrès de la cartographie et de la photographie. Les levers de terrain pour la carte d’Etat major au 80 000e de la Savoie sont réalisés après son annexion, de 1862 à 1866. Localement, pour le Mont-Blanc en particulier, des cartes au 20 000e sont réalisées.

Cartographie des glaciers

D’abord réalisées dans un but d’organisation administrative, les cartes sont une première représentation graphique qui révèlent des données essentielles, autant pour le déplacement entre les montagnes que pour la science.

Cartographier paysages et frontières

Cette carte corographique, c’est-à-dire régionale, présente les provinces italiennes conquises par le général Bonaparte à partir de 1796. Elles deviennent République italienne de 1802 à 1805.

La carte réalisée dans un but d’organisation administrative, figure à grands traits les reliefs et les routes qui permettent de traverser ces régions montagneuses.

On aperçoit à la frontière tout au nord, le Mont-Blanc sur le versant français, et le Mont-Maudit sur le versant italien, un nom témoin de la défiance des hommes envers les hauts sommets à l’époque.

La Mer de glace

La Mer de glace est l’un des lieux les plus spectaculaires et sans doute pour cette raison les plus représentés et étudiés des Alpes françaises. On en trouve de nombreux croquis dans les ouvrages du fonds patrimonial de Mines Paris – PSL.

Cette carte provient du fonds Elie de Beaumont à qui elle a été dédicacée par l’auteur.

Viollet le Duc, géologue et cartographe

Le travail d’Eugène Viollet le Duc en géologie est bien moins connu que ses travaux d’architecte. Pourtant, de 1868 à 1876, il passe tous ses étés à mesurer précisément le Mont-Blanc pour en réaliser une carte détaillée et montrer le système qui préside à la formation de ce massif, dans la tradition systématique d’Elie de Beaumont.

Il parvient grâce à un jeu d’ombres et de dégradés, à reproduire les reliefs et contours du massif. La carte est ainsi décrite dans les Annales des mines :

« La carte au 40.000e dressée par l’auteur est à la fois topographique et pittoresque ; elle représente, avec la forme des escarpements, les glaciers, les névés, les forêts et les pâturages »

— Annales des mines —

Photographie

Dès le milieu du 19e siècle, la photographie va permettre d’observer et de rapporter l’état des formations géologiques de certaines régions sous une forme que l’on espère objective et scientifique.

Une campagne photographique systématique

Pendant une dizaine d’années, chaque été, Aimé Civiale, ingénieur polytechnicien, disciple d’Elie de Beaumont, va arpenter les Alpes et les photographier de façon systématique. Il en rapporte près de 600 clichés et 41 vues panoramiques. La somme compilée dans ses travaux permet d’étudier cette chaîne de montagnes dans tous ses aspects géologiques, minéraux, glaciaires, hydrographiques.

Son étude photographique des Alpes est présentée pour la première fois à la séance du 16 avril 1866 de l’Académie des sciences par Charles Sainte-Claire Deville (rapporteur) devant MM. Regnault et Daubrée (commissaires), tous trois ingénieurs des mines.

Le matériel nécessaire à la photographie à cette époque pèse très lourd.
Civiale fait le choix d’emporter du papier ciré sec pour ses tirages et non des plaques de verre, par ailleurs très fragiles. Il fait également adapter son matériel avec un objectif en aluminium et non en cuivre par exemple. Malgré tout, son équipement complet, vivres compris, pèse encore près de 250 kg !

Pour des raisons techniques, les photographies sur papier ciré ne sont pas exposées ici.

La photographie au service de la carte

Cartographier les territoires de la haute montagne demande un engagement sur le terrain important et un travail de relevé des altitudes et de l’aspect des reliefs dans des conditions très difficiles. Les progrès de la photographie dans la seconde moitié du 19e siècle vont permettre d’améliorer les levés topographiques de ces zones montagneuses, en complément des mesures prises sur le terrain.

Henri et Joseph Vallot, deux cousins, développent particulièrement cette technique. Henri préside d’ailleurs la « Commission de topographie du Club Alpin français », créée par les « topographes alpinistes » à partir de 1903. Ils associeront dans un même appareil, relevé de mesures d’angles et de distances, et prises photographiques : le photo-tachéomètre.

Ensemble, les deux cousins débutent une entreprise de grande ampleur dans les années 1890 : la réalisation de la carte du Mont-Blanc au 20.000e, qui finit de paraître un peu avant 1940.

Photographies touristiques

Photographies provenant du fonds Leprince-Ringuet.

Ingénieur et directeur de l’Ecole des mines de 1936 à 1940, Félix Leprince-Ringuet a parcouru le monde tout au long de sa vie et pris des centaines de photographies. Plus de 300 plaques de verre sont aujourd’hui conservées dans le fonds patrimonial de Mines Paris – PSL.

Ici quelques photographies prises avec son épouse, témoignent du tourisme alpin au début du 20e siècle : le ski, le patin ou encore la visite aux glaciers à dos d’âne ! Les clichés des glaciers, spectaculaires, sont aussi utiles aujourd’hui pour comparer leur étendue à celle d’aujourd’hui.

Les données d’observation des glaciers depuis près de deux siècles permettent de modéliser les variations en cours du climat. Le bilan de masse (différence entre l’accumulation en partie haute, et l’ablation en partie basse du glacier) sur plusieurs années, est en effet un très bon indicateur. Or, à l’exception de quelques périodes (les années 1890, 1920 et 1970-80), les données recueillies depuis les années 1850, montrent un recul des glaciers généralisé à l’échelle du globe, témoin du réchauffement.

La précision des données de mesure augmente à la fin du 19e siècle grâce aux campagnes régulières menées sur quelques glaciers alpins à la suite de catastrophes. Ces campagnes, élargies au début du 20e siècle, ne sont cependant systématisées et normalisées qu’après les années 50. Elles sont coordonnées aujourd’hui en France par le Service national d’Observation GLACIOCLIM et au niveau mondial par le World Glacier Monitoring Service. 

Catastrophe au glacier du Gétroz en 1818

En 1818, le cumul de l’avancée d’un glacier sur le lac de Mauvoisin après de nombreux hivers rudes, bloque son écoulement et menace la vallée à l’aval en cas de rupture. L’ingénieur Venetz est dépêché sur place pour trouver une solution : des galeries d’évacuation pourraient être creusées. Son intervention n’a cependant aucun effet et la vallée est dévastée par l’eau subitement libérée.

Ignace Venetz n’en retire pas moins une plus grande connaissance des glaciers. L’évènement par ailleurs permet de prendre conscience de l’existence et des conséquences du changement climatique, qu’il faut comprendre ici comme le refroidissement au cours du Petit âge glaciaire.

La catastrophe du Gétroz engage pour la première fois à des opérations de surveillance et de solutions préventives telles que l’aménagement du site pour améliorer l’écoulement du lac.

Catastrophe de Saint-Gervais en 1892

Le 12 juillet 1892, la rupture d’une poche d’eau sous-glaciaire dont l’existence était jusqu’alors insoupçonnée, a provoqué un déferlement de boue torrentielle sur Saint-Gervais. Vallot, Delebecque et Duparc mettent en évidence ce phénomène glaciaire.

A la suite des différentes catastrophes survenues aussi bien en Suisse qu’en France, la surveillance des glaciers devient plus régulière, sur certains tout particulièrement. Les mesures obtenues depuis la fin du 19e siècle permettent aujourd’hui une connaissance fine des glaciers observés et de quantifier les mouvements d’avancée ou de recul en fonction des changements climatiques.

De l’importance des mesures sur le long terme

Le prince Roland Bonaparte s’est beaucoup impliqué avec le Club alpin français (CAF) pour mettre en place le recueil d’observations et de mesures des glaciers.

Dans l’introduction de cet ouvrage, il insiste sur la nécessité d’obtenir de longues séries pour comprendre les mouvements des glaciers, en France, voire à l’échelle du globe.

Il fait appel pour cela à des bénévoles qui doivent fournir les impressions passées et actuelles recueillies sur l’avancée ou le recul des glaciers, et si possible des mesures et des photographies des fronts glaciaires.

Représenter les neiges éternelles

Les ingénieurs des mines et la glaciologie